Chronique des temps de guerre, temps II
Enéas, neuf
Conception et mise en scène : Frédéric Constant
Conception et mise en scène : Frédéric Constant
Texte : Frédéric Constant et Xavier Maurel
Collaboration artistique : Catherine Pietri
Avec :
Véronique Affholder /Lavinia, Perséphone, La sherpa, Poum, Bardefi
Amélie Gonin / Vénus, Alecto, Julietta-Cypris, Lafeuillue, Mlle Blanchette, Passagère 1
Frédéric Constant : Ulysse
Geoffroy Guerrier / Dylan Speakmore, Journaliste 4, Sibylle, Grassededieu, Raymond Dancrès, Breu, Passager 1
Guillaume Junot / Énée
Jean Lescot / Helmut von Grubach, Charon, L’homme à la guinde, Pam, L’ombre d’Anchise, Latinus, Passager 4
Catherine Pietri / Elissa, Journaliste 3, Lucrèce, Pim, Parfeu, Amata, Mlle Solange, Passagère 2, Rodérigo
Pierre Poirot / Polyphème, L’homme malade, L’homme au grillage, Déiphobe, Voix d’Anchise, Chrysanthème, Jacques Vénulus, Stanislas, Passager 2
Christophe Vandevelde / Iarbas, Journaliste 1, Bradco, L'homme attaché, Protopaf, Rémus, Berthier, Passager 3, Turnus
Scénographie : Denis Fruchaud assisté de Corinne Forsans
Costumes : Muriel Delamotte et Anne Deschaintres
Assistante costumes : Nayla Ferzli
Création lumière : Christophe Pitoiset
Création son : Joris Chrétien
Création Vidéo : Guillaume Junot, Frédéric Constant, Karine Hébrard
Assistante mise en scène : Sophie Affholder
Régie générale : Benoît André
Régie lumière : Jérôme Allart
Régie son : Joris Chrétien
Coproduction : Centre dramatique national d'Orléans, Centre dramatique régional de Tours, Equinoxe – Scène nationale de Châteauroux, Les Affinités Electives
Coréalisation : Théâtre Paris-Villette
Ce spectacle a bénéficié de l’Aide à la création de la Région Centre, de l’Aide au projet de la DRAC Centre et le soutien de l'ADAMI et du Conseil Général du Loir et Cher.
C’est à partir de l'Enéide de Virgile que va se construire notre spectacle.
Ce poème antique de 12 chants, que l’auteur commence onze ans avant sa mort sans pouvoir le finir, raconte les aventures d’un survivant Troyen qui fuit sa ville en flammes, après le génocide de son peuple. Ce périple de plusieurs années le conduit d’une rive à l’autre de la Méditerranée et finit sa course en Italie où il fondera, après un dernier combat, une nouvelle cité prospère.
Contrairement aux héros d’Homère qui forgent leur destin par des choix entre différentes options, Enée est mû par son devoir. Tout au long du récit, les oracles, ses rencontres, ses proches, lui dictent ce qu’il doit faire, ce que l’on attend de lui. Enée ne choisit pas entre plusieurs voies possibles, il obéit comme un soldat exemplaire.
Les combats singuliers d’Enée et les espoirs que chacun projette sur cette figure emblématique nous conduisent à imaginer notre héros en boxeur professionnel. Un personnage en retrait, comme en marge de sa propre histoire, manipulé par tous. Champion de Méditerranée poids Walter, le boxeur Enée enchaîne les combats en attendant que son destin s’accomplisse. Figure populaire et fantasmatique, il entraîne dans son sillage une suite de profiteurs et d’affairistes.
Il s’agira ici de l’errance d’hommes et de femmes, laminés par la violence du monde, et qui, semblables à demi-spectres, cherchent les bribes d’un futur dans lequel s’inscrire afin de pouvoir reprendre vie.
L’errance, les combats truqués, l’espoir qui surgit au lendemain des catastrophes, l’impossible retour, la vie nouvelle, la griserie du progrès, la fièvre des convalescents, le pays des morts, le poids du devoir, les méandres de l’administration composeront l’univers d’Enéas, neuf.
La guerre de Troie marque une profonde mutation : un autre monde sortira de ces ruines. C’est dans le sentiment euphorique, et peut-être illusoire, de l’avènement des temps nouveaux, que se développent les séquences et les personnages de la pièce.
Commençons par le pivot autour duquel s’articule la pièce : Énée.
Personnage en retrait, comme en marge de sa propre histoire, manipulé par tous, Enée est devenu boxeur professionnel. Champion de Méditerranée poids Walter, il enchaîne les combats en attendant que son destin s’accomplisse.
Figure populaire et fantasmatique, il entraîne dans son sillage une suite de profiteurs et d’affairistes.
Accablé par la défaite Troyenne, rongé par la culpabilité du survivant, englué dans le sentiment qu’il ne peut agir sur le monde, Enée ne croit plus aux promesses et aux engagements qu’il a vus s’effriter et se dissoudre dans l’oubli des hommes et des dieux. Le temps se joue de tout et de tous, les volontés s’étiolent, et il ne reste rien de la chose convenue.
C’est donc un personnage désabusé, méfiant et perdu, qui entrera en scène.
La pièce se déroule en quatre actes :
I. Carthage.
C’est à Carthage que commence l’aventure, dans cette ville en pleine construction qu’Elissa-Didon gouverne, une femme éprouvée par une vie difficile et particulièrement en empathie avec les victimes.
Sa cour se compose d’une foule bigarrée d’exilés, d’apatrides, d’aventuriers et d’hommes d’affaires…
Auréolé de son titre de Champion de Méditerranée poids walter, Enée débarque à Carthage au cours d’une soirée de Gala donnée par la reine Elissa Didon.
Une passion naîtra entre cette Reine et notre héros, mais le devoir d’Enée conduira les amants à se séparer. Didon se suicidera.
II. Les enfers.
Ce monde du dessous, où les âmes libérées des corps viennent séjourner, a ses règles, sa hiérarchie, son quotidien. Il est le lieu de la souffrance, qu’on soit élu — regret du temps de la vie — ou puni — châtiments perpétuels.
Emporté loin de Carthage par une équipe d’affairistes conduite par Vénus, sa mère, Enée qui rechigne à accomplir son destin exige de voir son père, Anchise, qui est mort.
C’est un autre voyage qui commence alors pour Enée, accompagné de la Sibylle, dans le pays du remords et du regret.
III. L’Italie.
Après avoir perdu la trace d’Enée, on le retrouve en Italie, au Latium. Il a été arrêté avec des clandestins, sur la côte, et conduit à un poste de police. Nous suivons son parcours du centre de rétention au Palais du Roi Latinus.
IV. Tübingen.
Nous voici dans ce village d’Allemagne où les rebelles du Latium se sont réunis autour de la figure emblématique de Turnus, le boxeur Italien, champion du monde.
Le jour où le roi Latinus lui a proposé sa fille en mariage, Turnus s’est exilé du Latium, et, comme l’a fait le poète Hölderlin, il a élu domicile dans la tour d’un menuisier de Tübingen. Depuis, il vit comme un ermite que l’on regarde comme un prophète.
Enée vient à sa rencontre. Leur échange sera décisif.
Ulysse sur la route.
Après être revenu de Troie à Ithaque, et après avoir débarrassé son palais de tous les prétendants qui l’encombraient, après avoir vécu son odyssée, Ulysse est à nouveau sur la route.
Figure inversée d’Enée, nous le retrouvons au fil de notre récit.
Voyageur anonyme et spectateur passif du monde, il parcourt le globe à la recherche d’une terre sans conflit.
Mais où qu’il aille la violence le rattrape. Il comprend qu’il ne pourra trouver cette paix qu’il appelle de ses vœux que dans l’indifférence aux autres. Il refusera d’adopter cette attitude et décidera de reprendre le cours de sa vie en rentrant chez lui. Nous le retrouvons à différentes étapes de son périple : dans la chambre d’un hôtel à Haïphong, à la table d’un café de Buenos Aires, sur Alexander-platz…
TÉLÉRAMA n° 3150 - 29 mai 2010 par Emmanuelle Bouchez
(...) Et puis, d'un coup, la tension monte. Parfois très fort ! La reine Didon, de foldingue grotesque, devient tragique en amoureuse abandonnée. Les chorégraphies chorales, pourtant sacrément kitsch, ont l'énergie des danses tribales qui conjurent le sort. Reconstituée dans une boîte de nuit plutôt chaude, la fameuse descente aux Enfers d'Enéas est une fantasmagorie d'une belle audace, très incarnée par la troupe. Cette version d'un Enée tout neuf rend-elle vie au mythe ? Non, quand elle peine à expliciter ce que le héros déchiré par la guerre a dans les tripes. Oui, quand elle s'empare, avec un sens aigu du dérisoire, de la question des frontières.
LA RÉPUBLIQUE DU CENTRE, 13 janvier 2010 par J-D. B.
Sur le plateau de la salle Vitez, deux heures et demi durant avec entracte de dix minutes, huit acteurs font merveille. Guillaume Junot dans le rôle d'Enéas errant devenu boxeur, Catherine Pietri en Elissa ou bien encore Jean Lescot, sont épatants.
Conjuguant la vidéo, la danse et une bande-son allant du quatuor à un titre de France Gall, ce spectacle à l'absurde mesuré et à l'humour léger, pièce emplie de blessure et d'amour, " road-théâtre "qui nous conduit de Carthage aux Enfers et jusqu'en Italie, est tout bonnement passionnant. Il est donné avec une "profonde énergie de vie" et une conscience du monde à partager. Volontiers.